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Train de Moscou à Berlin, à travers la Bélarus et la Pologne...

 

17/09. Surprise ce matin, l'agence qui m'a pris mon billet Moscou-Berlin m'annonce qu'ils vont venir me chercher à l'hôtel, et m'aideront à trouver le train. Ce n'est pas un mal, je m'apprêtais à un grand moment de solitude pour trouver mon wagon annoncé en cyrillique (même si je progresse sérieusement dans la lecture de cette écriture)... Luxe, calme et volupté ! A l'heure dite, mon chauffeur me prend pour partir à la gare. Je me retrouve seul dans un wagon de quatre couchettes. Et me voici dans un nouveau train, Moscou-Smolensk-Minsk-Warshaw-Berlin ! Train très moderne, clim, prise de courant, et l'inévitable théière avec de l'eau chaude au bout du wagon, et la tasse frappée de l'aigle impérial. Vassiliev, le chef de wagon, m'explique en russe les trucs du compartiment, puis m'apporte un café... C'est un nouveau voyage qui commence ! Vingt-huit heures de train pour Berlin, à travers la Bélarus, la Pologne et l'Allemagne... Sans wagon-restaurant, mais avec de l'eau, on peut tenir ! Et sans fumer, aussi... Donc, nach Berlin, pour la première fois, mais en venant de l'est ! J'aime l'idée... Pour l'heure, le train avance lentement dans la banlieue moscovite, puis la forêt revient, et le crépuscule s'annonce... Le train balance doucement, je retrouve mes sensations ferroviaires, le bruit rythmé des boogies, et c'est bien. Je suis bien. Je continue à parcourir le vaste monde, les grandes plaines de l'est européen... Toujours vers l'ouest, depuis plus de cinquante jours...

Les pins, les mélèzes et les bouleaux défilent... Tâches colorées, verts foncés, émeraudes tendres, jaunes ocrés, feuillus éclatants, rouges et rouillés. Troncs noirs ou blancs, troncs dressés, troncs brisés. Ciel gris ou bleu, les  nuages passent... Parallèles luisantes, éclats métalliques, la voie d'à côté défile sans faille. Balancements doux, grondement phrasé, un accroc soudain, des frissons de fer. Le corps vibre en lien... Une porte claque, murmure des voix, une silhouette passe en éclair dans l'encadrement de la porte, un essieu claque un moment puis se tait. Halètements rauques, cliquetis diffus. Le regard flotte au loin, accroché par un hameau. Par surprise, un train inverse nous frôle en hurlant, donnant une claque de vent dans sa course folle. Une gare jaune paraît, une femme est seule sur le quai, elle regarde ailleurs, elle s'évanouit dans l'espace. Les fils sur le flanc montent et retombent, et remontent et retombent, et des poteaux traversent la fenêtre, vite et droits, guetteurs du rail, protecteurs des voies. La plaine a remplacé la forêt, mais les bois reviendront... Et la nuit monte, la vitre s'épaissit et noircit. Bientôt, nous filons dans les ténèbres, et le sifflet du train pousse de long cris de terreur. Que se passe-t-il dehors ? Quels sont ces démons qui rodent, ces feux entraperçus sur les landes ? Mais nous sommes ailleurs, une ligne de fuite, un vaisseau hors du temps, planète sans fin de fer et de grincements. Ce sont des rêves qui dansent autour...
17 septembre 2015, près de Smolensk

 

18/09. Un peu de lyrisme en s'endormant ne fait pas de mal, à condition de ne jamais oublier que la réalité existe... A 2h, je suis réveillé par un gros Russe gentil mais qui ronfle, et avec qui je vais devoir partager la cabine... Pire, deux heures plus tard, nous somme à la frontière Belarus-Pologne, à Brest. Personne ne s'est inquiété de mon entrée en Belarus. Mais là, pour sortir, ça pose un problème, parce que je n'ai pas le visa d'entrée... Ah bon, il en fallait un ? Décidément, il serait bien que je me renseigne AVANT de traverser les frontières, même si on apprend plus vite sur le tas... Bon dites, le visa, c'est pour entrer, et là, je sors ! Mais rien à y faire, je dois descendre du train, ça devient une habitude, et partir dans un hall lointain, complètement désert et glauque. Personne ne parle anglais, bien sûr, même pas l'Allemande qui est là aussi et qui a du faire la même erreur que moi. Au début, ça va, on s'emmerde, juste... Mais plus de deux heures après, vers 6h30, que l'aube s'annonce, et que le train doit partir à 7h, et que les trains russes sont super ponctuels, on commence à s'agiter, avec l'Allemande, et même à râler ! Enfin, ça bouge un peu du côté des grandes casquettes, on nous fait signer des liasses de papier, puis faut courir avec le sergent dans la gare à la recherche d'une banque pour pouvoir payer le visa ! N'importe quoi... Je tire du fric belarus pendant que l'Allemande fait un virement en s'engueulant avec la caissière et la cliente qu'elle a doublée, sous les râleries du flic. Moi, je donne ma liasse, je ne sais même pas combien j'ai payé ! Course retour vers le train. Incroyable, il nous a attendu, et il part avec 12mn de retard ! Une révolution (de plus)... Mon chef de rame et mon voisin ronfleur me congratulent, encore une célébrité de visa vite gagnée !
 

En comparaison, le passage de la frontière polonaise se fait en un clin d'œil, à Terespol, et nous commençons à nous enfoncer dans l'espace Schengen, ce qui devrait relativiser ce problème récurrent des visas... Cela nous remet aussi à l'heure de Paris, une heure de moins, la dernière du voyage. Je suis passé par tous les fuseaux du monde !
Toujours beaucoup de forêt, mais c'est curieux, tout est bien vert, on a l'impression que l'automne n'est pas encore arrivé ici... Ce que c'est que l'Europe, quand même ! Blague à part, et hormis la végétation, on voit clairement une différence. La campagne est propre, les villages pimpants, il n'y a plus cette impression de tristesse latente des campagnes russes. Mais comment mesurer la subjectivité ?
Arrivée dans une gare de banlieue de Varsovie (Warszawa Wschodnia) à 10h. On doit repartir à 10h58. Mais on est échoué, à 13h on est toujours là, pour des raisons incompréhensibles. Personne ne parle anglais... Quel voyage... On finit par repartir, Poznan, Rzepin, d'autres gares polonaises. Et puis nous traversons l'Oder, et la frontière allemande. Curieusement, une certaine excitation me prend, je suis dans un pays voisin de la France ! Cela faisait longtemps, et je sens sourdre l'émotion de rentrer bientôt ! Frankfurt (am Oder), et enfin Berlin... Hauptbahnhof ultra moderne, adieux à Vassiliev, le chef de rame et à Alphonse, mon cocabine, hôtel en face très design, et écroulement dans le lit profond...

 

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